L'orientation: le mécanisme de la preuve sociale

« Lorsque tout le monde pense pareil, personne ne pense vraiment » 
(Walter Lippmann) 

Robert Cialdini, dans son ouvrage Influence et Manipulation, évoque le concept de preuve sociale de la façon suivante: 

« [Selon le principe de la preuve sociale] l’un des moyens de déterminer ce qui est bien est de découvrir ce que d’autres    pensent être bien. Le principe s’applique essentiellement aux situations où nous essayons de déterminer quel est le comportement à tenir. Nous jugeons qu’un comportement est plus approprié à une circonstance particulière si nous voyons d’autres personnes l’adopter. Que la situation posée soit ce qu’il convient de faire avec un emballage de pop-corn vide dans une salle de cinéma, la vitesse à adopter sur un tronçon d’autoroute, ou la façon de manger son poulet lors d’un dîner, les actions des personnes qui nous entourent seront un élément important de la réponse. La tendance à croire qu’un comportement est approprié à partir du moment où d’autres l’adoptent produit normalement un bon résultat. » [1] 

D’autre part, il indique que ce mécanisme fonctionne mieux si deux conditions sont réunies, à savoir l’incertitude (cf. 1ère citation ci-dessous) et la similarité (cf. 2ème citation ci-dessous): 

« Quand on ne sait pas à quoi s’en tenir, on se repose plus facilement sur les actions des autres pour déterminer la conduite qu’on doit tenir soi-même » [2]

« Le principe de la preuve sociale fonctionne à plein lorsque nous observons le comportement de gens qui nous sont très semblables » [3]

Il s’avère que ces conditions sont réunies en matière de choix d’orientation professionnelle. En effet, que ce choix soit effectué tôt, quand l’individu est encore très lié à ses parents (ex: choisir d’être médecin comme l’un de ses parents) ou plus tard, pendant les études supérieures, la personne se trouve dans une situation d’extrême incertitude -comment savoir qu’exercer tel métier plutôt que tel autre pourrait me convenir, à moi, personnellement ?- et entourés de pairs qui lui ressemblent (ses parents, qui l’ont éduqué, dans un cas, ses camarades de promotion dans l’autre).  

Deux exemples pour illustrer l’application de ce mécanisme sur des « optimistes exigeants » [4]. Le premier est le témoignage de Thibault Labey, ancien avocat qui a quitté la robe après un peu plus d’un an d’exercice, qui répond la chose suivante à la question « comment êtes-vous devenu avocat ? » : 

« Un peu par accident. Je me suis inscrit en droit après le lycée en suivant un de mes potes qui étaient particulièrement brillant à l’école et du coup, comme je manquais un peu d’inspiration, je me suis dit “lui il doit aller dans une direction qui fait sens”. Donc je l’ai un petit peu suivi (rire) » [5]  

Le second est le témoignage d’un ami qui m’a expliqué les raisons qui l’avaient poussé à choisir le métier de consultant à la fin de ses études en école de commerce (EM Lyon). Il m’a dit que comme il n’avait pas d’idée et qu’il voyait une grande partie des étudiants opter pour cette voie, il a estimé qu’il ne pouvait pas se tromper en les imitant.  

Ce témoignage fait d’ailleurs écho à ce que j’ai pu vivre personnellement quand, pendant mon année d’étude à l’ESSEC, j’ai envisagé l’exercice de ce métier à la fin de mes études. Ainsi, je me souviens qu’après avoir lu le livre Sociologie du conseil en management, j’étais allé voir la responsable du Career Center de l’ESSEC pour échanger avec elle sur ce métier. Elle m’avait rapidement répondu que je réfléchissais trop pour aller faire du conseil…  

Peut-être sous-entendait-elle que je n’étais pas fait pour le conseil parce que je n’arriverais pas à simplement imiter mes pairs, sans me poser de questions, notamment celle du sens de mon activité ?

[1] Cialdini, Robert. Influence et manipulation. Pocket. 2014. Pages 167-168.

[2] Ibid. Page 200.

[3] Ibid. Page 200.

[4] Cf. le terme renvoie à une étude réalisée par Viavoice -Manpowergroup. Dans cette dernière, la génération Y est divisée en 4 catégories selon leurs aspirations concernant le travail, à savoir: “Les optimistes exigeants, les “pragmatiques”, les “fragilisés” et les “optimistes flexibles”. Etude accessible sur  https://start.lesechos.fr/apprendre/gagner-leadership/generation-y-au-travail-letude-qui-tord-le-cou-aux-cliches 1177578#:~:text=Pourtant%2C%20une%20nouvelle%20%C3%A9tude%20intitul%C3%A9e,ne%20tiennent%20pas%20la%20route.

[5] Interview Fleur d’avocat #10 – Thibaut Labey : « Mon corps m’a dit « arrête » 2’40”. 2019. Accessible sur http://www.fleurdavocat.fr/2019/01/03/10-thibaut-labey-mon-corps-ma-dit-arrete/